Migration mixte : Commerçants, diasporas et rapatriés
Le long du corridor Lagos-Abidjan, les gens se déplacent pour toutes sortes de raisons. Certains peuvent être qualifiés de réfugiés, de migrants économiques, de travailleurs saisonniers ou d'étudiants internationaux. Au lieu de répartir les personnes en déplacement en différentes catégories, une autre approche consiste à adopter la notion de “migration mixte”. Cette notion reflète le fait que les migrants ne sont jamais uniquement des migrants économiques ou des demandeurs d'asile, mais que leur vie et leur trajectoire sont souvent une combinaison des deux.
Pour l’OIM, “les principales caractéristiques des flux migratoires mixtes comprennent la nature irrégulière et la multiplicité des facteurs moteurs de ces mouvements, ainsi que les besoins et profils différenciés des personnes concernées”.1 Il s’agit de “mouvements de population complexes comprenant des réfugiés, des demandeurs d’asile, des migrants économiques et d’autres migrants.”2 Beaucoup de ces mouvements sont des migrations circulaires et des déplacements fluides entre pays, et même à l'intérieur des pays, qui peuvent être temporaires ou à long terme.
La définition classique du migrant est une personne âgée de plus de 15 ans, qui vit depuis plus d'un an dans un pays dont elle n’est pas ressortissante.3 Le long de la section béninoise du corridor Lagos-Abidjan, le groupe le plus représentatif de cette catégorie de migrants, c’est-à-dire les migrants internationaux, provient des pays voisins du Nigeria, du Togo et du Niger. Il y a aussi des migrants internationaux d’Europe, du Moyen-Orient, d’Inde et de Chine qui, en nombre, représentent de très petits groupes, même si ces groupes détiennent un pouvoir économique important. Les migrants internationaux cohabitent également avec les migrants internes, qui désignent les personnes qui se sont déplacées d'une région du pays à une autre dans le but d’établir une nouvelle résidence.
La définition classique d’un migrant est une personne âgée de plus de 15 ans, qui a vécu pendant plus d’un an dans un pays où elle s'est installée. De nombreux migrants internationaux le long du corridor sont organisés au sein de diasporas commerciales, par exemple les commerçants de vêtements d’occasion Igbo ou les commerçants de voitures d'occasion libanais. Ils sont organisés en réseaux, associations ou communautés qui maintiennent des liens avec leur pays d’origine. Ce concept couvre les communautés d’expatriés plus établies et les migrants de deuxième ou troisième génération. Parfois, ces migrants ont acquis la nationalité du pays d’accueil ou d'un pays tiers. Par exemple, de nombreux Libanais résidant au Bénin ont des passeports ghanéens.
Il existe une grande disparité dans les mouvements et les circulations qui ont lieu le long du corridor. Pourtant, c’est précisément l’accumulation et l’intersection de ces mouvements qui transforment le tissu urbain le long du corridor. Ce qu’il faut retenir ici, c’est que la migration peut être conçue comme un éventail de mouvements bien plus large que la relocalisation rurale-urbaine, et qu’elle comprend une diversité de catégories : internationale ou interne, diasporas commerciales ou rapatriés.
De nombreux chercheurs choisissent d'adopter “la mobilité”4 ou “le movement” plutôt que “la migration”5 comme optique d'analyse. Cette thèse réunit la mobilité et la migration dans un même cadre analytique. En effet, pour des auteurs comme AbdouMaliq Simone, c’est la catégorie primordiale du mouvement, en tant que processus qui “a donné forme aux villes et régions africaines”.6 Cela fait écho au travail de Caroline Melly, anthropologue travaillant sur le Sénégal, qui réunit dans un même cadre d'analyse la migration et la mobilité. Se déplacer dans la ville, c’est “autant ce que cela signifie de faire partie de la ville africaine, de s’y déplacer, de l'habiter et de la construire que le désir et l’impératif de mobiliser le capital travail et le savoir à l’échelle nationale et mondiale”.7 Réunissant l’analyse de la migration et de la mobilité, Caroline Melly écrit que la mobilité est une valeur durable, insaisissable et collective, qui incarne les attentes de la migration et dépasse les géographies binaires de l’arrivée et du départ. On pourrait dire que, par rapport au Sénégal, c’est encore plus le cas le long du corridor Lagos-Abidjan. En effet, alors que la migration sénégalaise est traditionnellement plus ancrée dans les routes vers l’Europe, la migration le long du corridor Lagos-Abidjan se produit le long des mêmes routes que la mobilité urbaine quotidienne.
Ce positionnement s’inscrit également dans les tendances actuelles de la recherche dans le contexte européen. Les chercheurs qui travaillent sur le lien entre migration et mobilité à Neuchâtel, en Suisse, cherchent à réunir ces deux catégories d'analyse et de pratique, en se concentrant sur l’interaction entre ces deux manières d'encadrer le mouvement.8 Cette approche veut savoir à quoi la mobilité est liée et de quelle façon, en demandant s’il s’agit de conceptions exclusives du mouvement, ou si les individus naviguent entre la mobilité et les lieus de migration. Dans le contexte ouest-africain, il semblerait que la fluidité entre ces deux concepts soit plus grande.